09 07, 2024
Les rapports de l’ONU sur la situation sécuritaire à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) se suivent au fur et à mesure que l’implication du Rwanda et de l’Ouganda auprès du M23 s’intensifie. Dans son dernier rapport, publié le 8 juillet, le groupe d’experts de l’ONU décortique l’avancée des rebelles au Nord-Kivu et égraine la longue liste de leurs conquêtes territoriales. En février, le M23 a réussi à encercler la ville de Sake, coupant ainsi la capitale provinciale, Goma, de sa route de ravitaillement vers le Sud-Kivu. En mars, la rébellion progresse vers le Nord, dans le territoire de Rutshuru, occupant de nombreuses villes stratégiques, jusqu’aux rives du lac Edouard. Enfin, début avril, le rapport de l’ONU révèle que le M23 a augmenté sa zone d’influence de 70% par rapport à novembre 2023. De facto, notent les experts, les rebelles, soutenus par l’armée rwandaise, « encercle Goma et toutes les voies d’accès et d’approvisionnement, à l’exception d’une route menant directement au Rwanda ».
Entre 3.000 et 4.000 soldats rwandais déployés au Nord-Kivu
Comme lors des précédents rapports, l’ONU a obtenu de nouvelles preuves de l’implication de l’armée rwandaise auprès du M23 : photographies authentifiées, images de drones, enregistrements vidéo, témoignages et renseignements, confirment « les incursions systématiques de la RDF (Rwanda Defence Force) à la frontière et sa présence renforcée » dans le Nord de Goma. Selon « une estimation prudente » des experts, entre 3.000 et 4.000 soldats rwandais sont déployés au Nord-Kivu, dans les territoires du Nyiragongo, de Rutshuru et de Masisi. Ces militaires appartiendraient à la 2ème et 3ème division commandée par le Lieutenant-colonel Augustin Ryarasa Migabo et le major-général Ruki Karusisi. Dans certaines zones, le nombre de soldats rwandais égale voire dépasse ceux du M23. La présence de la RDF « a été déterminante pour repousser les attaques conjointes des FARDC (armée congolaise) et des Wazalendo (sa milice supplétive) et conquérir de nouveaux territoires ». La présence de Kigali aux côtés du M23 a donc permis « l’impressionnante expansion territoriale réalisée entre janvier et mars 2024 » par les rebelles.
« Le Rwanda, responsable des actes du M23 »
Le soutien du Rwanda au M23 s’opère également par le déploiement d’armes sophistiquées, comme des sytèmes de défense antiaérienne à courte portée, des obus de mortier guidés ou transportés par drone. Les images consultées par les experts de l’ONU ont permis de dresser l’arsenal impressionnant déployé par Kigali pour soutenir la rébellion. Le nombre conséquent de soldats rwandais présents sur le sol congolais, ainsi que les armes utilisées, permettre de mieux comprendre « la capacité du M23 à opérer simultanément sur plusieurs axes et champs de bataille ». Le rapport onusien documente également le recrutement d’enfants-soldats : « Le M23 a systématiquement enlevé des centaines d’hommes et de garçons âgés de 10 à 12 ans dans les zones rurales alors qu’ils travaillaient dans les champs ». Des localités « majoritairement habitées par des Hutu » ont été ciblées par le M23. Des actes contre des civils « sanctionnables » et « pouvant constituer des crimes de guerre ». Le soutien de Kigali « à la conquête territoriale du M23 » est également passible de sanctions selon les experts. « Le contrôle et la direction que la RDF exerce de facto sur les opérations du M23 rendent également le Rwanda responsable des actes du M23 ».
Les errances de Kinshasa
A Kigali, qui n’a jamais reconnu son soutien à la rébellion, « ces accusations [sont] absurdes et le fruit de la guerre de l’information menée contre le Rwanda » a dénoncé la porte-parole du gouvernement rwandais. Yolande Makolo insiste sur d’autres éléments très présents dans le rapport de l’ONU, et notamment le fait que « l’armée congolaise finance et combatte aux côtés non seulement de la milice génocidaire FDLR, mais aussi des forces de la SADC, de mercenaires européens, de forces burundaises et de diverses milices ethniques armées ». Et de conclure : « Le Rwanda prend ces menaces très au sérieux et continuera à se défendre ». Une façon de justifier, entre les lignes, l’implication de Kigali dans le capharnaüm de l’Est congolais. Le groupe d’experts de l’ONU pointe également les errances de Kinshasa, qui joue un jeu dangereux en acceptant de s’allier avec des groupes armés « patriotes », appelés Wazalendo, qui combattaient il y a encore quelques mois l’armée congolaise dans leurs zones d’influence.
Ambiguïté levée sur le rôle de l’Ouganda
Ce nouveau rapport onusien apporte enfin des informations inquiétantes sur le rôle de l’Ouganda dans le conflit à l’Est de la RDC. Alors que Kinshasa avait autorisé l’entrée de troupes ougandaises sur son sol pour combattre les ADF, une autre rébellion affiliée à l’Etat islamique, de nombreuses voix s’étaient élevées pour dénoncer le rôle trouble de Kampala auprès du M23. D’abord accusés d’être entré au Congo pour piller les ressources naturelles et favoriser leurs exportations vers l’Ouganda, les troupes du président Museveni ont été soupçonnées d’avoir laissé passer les rebelles du M23 pour prendre la ville frontière de Bunagana en juillet 2022. Les experts onusiens sont désormais plus catégoriques, et attestent « du passage régulier de troupes, de véhicules et de matériel militaire du M23 et de la RDF sur le territoire ougandais », ce que dément Kampala.
Naïveté diplomatique de Kinshasa
Aujourd’hui, le soutien ougandais au M23 est qualifié « d’actif ». « Des sources de renseignement et des personnes proches du M23 ont confirmé la présence d’officiers du renseignement militaire ougandais à Bunagana depuis au moins la fin de l’année 2023 pour assurer la coordination avec les chefs du M23, fournir de la logistique et transporter les chefs du M23 vers les zones contrôlées par le M23 », pointe le rapport. Les principaux leaders du M23, dont son chef militaire, Sultani Makenga, « se sont rendus à Entebbe et à Kampala en violation de l’interdiction de voyager ». Idem pour Corneille Nangaa, patron de l’Alliance fleuve Congo (AFC), la vitrine politique du M23, qui habitait récemment à Kampala et a « tenu des réunions avec des représentants de groupes armés congolais et des individus très proches du M23 ». Pour de nombreux observateurs, les autorités congolaises ont été « naïves » d’avoir laissé entrer les troupes ougandaises à l’Est, sachant notamment que cette décision braquerait Kigali. Le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a été clair en affirmant qu’il fallait désormais considérer l’Ouganda comme « un pays agresseur ». La nouvelle ministre des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, lors d’un briefing presse, a déclaré vouloir « évoquer la question sur le plan diplomatique », sans plus de précisions. Pour compléter la liste des ingérences étrangères en RDC, le rapport de l’ONU a obtenu « des preuves supplémentaires du déploiement secret de troupes burundaises dans le Petit Nord, en dehors du cadre du mandat de la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) ». Un autre voisin turbulent dont Kinshasa doit s’occuper.