18.05.2024
À son arrivée à l’Hôtel de ville, Kinshasa croulait, disait-on, sous des dettes estimées à 60 millions de dollars américains héritées d’André Kimbuta Yango à travers des marchés publics ténébreux. À son départ, Gentiny Ngobila Mbaka, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a, nul doute, légué au premier gouverneur de la capitale, estampillé Udps, Daniel Bumba, des cadavres dans les tiroirs.
Après l’enquête de l‘IGF qui a étalé les pratiques mafieuses de multiplicité de DGRK sectorielles ramifiées à des sous-traitants de complaisance, la Licoco et l‘Odep, deux de structures de la mouvance de la société civile demeurées maniaques des investigations citoyennes et du lobbying de la redevabilité, ont mis à nu les clauses à la Camorra dans le contrat signé en 2021 entre l’Hôtel de ville de Kinshasa et la firme SOGEMA.
Aux grands maux, de grands remèdes. « Seule une forte volonté politique exprimée par le chef de l’Etat pourra permettre la revisitation de ce contrat et les corrections qui s’imposent », signent les teams leaders de deux ONG, le professeur Florimond Muteba et l’activiste Ernest Mpararo.
L’opinion se souviendra qu’au temps fort de la controverse sur le déguerpissement des vendeurs au marché central, le président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, était intervenu en faveur du projet de Ngobila sur la modernisation de Zando, appellation locale du grand marché kinois. Il est donc logique que le chef de l’État refasse une évaluation de ce projet au regard des griefs portés par l’Odep et la Licoco dans leur “Rapport du contrôle citoyen sur le projet de construction du grand marché de Kinshasa, suivant le contrat signé le 21 mars 2021 entre la société SOGEMA et la ville de Kinshasa”.
Odep et Licoco mettent, en effet, en exergue la “Présence des irrégularités dans le contrat signé avec la société SOGEMA pour la construction et l’exploitation du Marché central de Kinshasa et qui lèsent les intérêts de la ville de Kinshasa et des 12 millions de Kinois…”. À l’image de la patrouille financière de l’IGF, le contrôle citoyen mené par les deux ONG révèle notamment” l’abandon total entre les mains de la société SOGEMA de la gouvernance du projet « Marché central de Kinshasa», du suivi et contrôle permanents des travaux, au moyen de la neutralisation du Bureau technique de contrôle « BTC » et du comité de suivi du projet. Pis, les limiers de l’Odep et de la Licoco ont pu déterrer “un accord tripartite de financement SOGEMA-SOFIBANQUE et la ville de Kinshasa… et l’avenant des clauses qui lèsent les intérêts de la ville de Kinshasa”.
Alors que la Banque centrale a recommandé une certaine prudence aux banques commerciales pour prêter à l’Hôtel de ville de Kinshasa, quand la banque libanaise SOFIBANQUE se retrouve dans un deal, commente ce confrère, des doutes persistent sur la clarté de l’opération.
L’Observatoire de la dépense publique et la Ligue congolaise contre la corruption ont, en effet, étalé sur la place publique, onze preuves irréfragables que Ngobila a entraîné Kinshasa dans un contrat déséquilibré à dessein.
Le coût des travaux, soit 44 505 353 $US, est couvert totalement par un emprunt contracté par SOGEMA Sarl auprès de la SOFIBANQUE et dont la garantie de remboursement est totalement assurée par la Ville de Kinshasa, donc SOGEMA n’a apporté aucun financement propre. Les 44 505 353 $US fixés dans le contrat liant SOGEMA à l’entreprise de construction SZTC ne repose sur aucun soubassement détaillé et dûment validé par toutes les parties prenantes. Licoco et Odep en tiennent pour preuve le contrat signé le 29 juin 2022.
L’Hôtel de ville laisse la gestion exclusive du Marché central à SOGEMA Sarl pendant 25 ans. Cette durée est déterminée forfaitairement sans aucune étude préalable sur la rentabilité financière, économique du projet et son impact environnemental, soutiennent la Licoco et l’Odep. Il s’instaure une privatisation du Marché central au profit de SOGEMA Sarl qui ne dit pas son nom.
D’autant plus que les conditions de retour sur le site des vendeurs et du personnel administratif délocalisés avant le début des travaux ne sont pas du tout définies, expressis verbis. Licoco et Odep dénoncent par ailleurs, le “recrutement exclusif du personnel du projet par SOGEMA Sarl”. Il n’est plus rare de constater, dans nombre des chantiers relevant pourtant de marchés publics, une majorité des ouvriers expatriés, indopakistanais, chinois, libanais, kosovars…
Les deux ONG relèvent également que dans le contrat de Ngobila, la société SOGEMA Sarl se substitue à la principale régie financière de la capitale (DGRK) et s’emploierait à percevoir les droits et taxes revenant à la Ville de Kinshasa.
Et naturellement, SOGEMA devrait se faire rémunérer selon une clé de répartition qui sera fixée entre les parties. L‘IGF, il sied de le rappeler, avait déjà déploré cette pratique de l’administration Ngobila de recourir à la sous-traitance de complaisance. Licoco et Odep démontrent aussi dans leur rapport citoyen que les recettes liées à la publicité sur le site du Marché reviennent de droit à la société SOGEMA et non à la DGPEK, la petite Dgrad montée de bric et de broc à l’Hôtel de ville pour capter les revenus des publicités locales.
Le rapport citoyen fait aussi état de l‘”octroi illégal à SOGEMA Sarl d’un allègement fiscal de 15% de l’impôt sur le bénéfice réalisé pendant les trois premières années de l’exploitation sans analyse économique avec les arguments pouvant justifier les exonérations”.
Le contrat de Ngobila pour Zando tourne pratiquement à la désinvolture quand il octroie “une immunité” à SOGEMA.“Les missions d’inspection et d’audit semestrielles devront d’abord requérir l’autorisation de SOGEMA!”, déplorent la Ligue congolaise contre la corruption et l’Observatoire de la dépense publique.
Et , à l’achèvement des travaux de construction du marché, les biens meubles et les matériaux deviennent propriété de SOGEMA Sarl, bien qu’acquis avec le financement du projet garanti par la ville de Kinshasa! Ngobila est allé trop loin dans son contrat visiblement déséquilibré en défaveur de Kinshasa, tempête cet expert en marchés publics. Pour lui, l’acte I du Sénat serait la levée de son immunité pour répondre de ses actes devant la justice.
Mais, les enquêteurs de la Licoco et l’Odep fustigent surtout la complaisance et la complicité des pouvoirs publics.
« (…) tous les constats relevés par l’ODEP et la LICOCO procèdent d’une part, de l’incompétence des pouvoirs publics dans les domaines de la planification, la programmation, la budgétisation et le suivi-évaluation des investissements et, d’autre part, une opacité justifiée par la culture de la corruption et de l’enrichissement facile, qui s’est installée dans le mental de la classe politique congolaise et en particulier ceux du régime actuel », lit-on dans le Rapport citoyen. Et comme il est de coutume dans leurs rapports communs ou déclarations mitoyennes, la Licoco et l’Odep offrent des propositions pour rectifier le tir.
“Il faut replanifier le projet et corriger tout le processus de planification, de la programmation, de budgétisation et de suivi-évaluation de ce projet dont nous connaissons tous l’importance économique et sociale par les 12 millions de Kinois” et “revisiter le contrat en cours SOGEMA/Ville de Kinshasa pour en rééquilibrer les avantages entre les deux contractants, la ville et la population de Kinshasa étant trop lésés”.
Licoco et Odep proposent également d’“identifier les délits qui accompagnent la mise en œuvre du contrat, et interpeller les éventuels criminels”. Pour les deux ONG, le chef de l’État doit agir pour une solution pérenne. Kinshasa risque gros, et par ricochet, l’État congolais.