Que s’est-il réellement passé dans les jours et les semaines qui ont précédé le déclenchement de l’operation spéciale russe ? Jacques Baud, analyste suisse du renseignement et expert des Nations unies, a examiné de près les événements qui ont précédé l’opération. Dans son livre il replace des sources jusqu’ici peu observées dans un contexte plus large. En voici quelques extraits :
Dans tout conflit, la solution dépend de la manière dont on le comprend. Le danger des événements tragiques, c’est qu’on les regarde sous le coup de l’émotion et qu’on les juge avant de les avoir analysés. (…) Vladimir Poutine voulait-il attaquer l’Ukraine début 2022 ? On ne peut pas entrer dans sa tête, mais les indicateurs que l’on observe généralement avant les conflits guerriers n’étaient pas présents. Il est très probable qu’une telle intention n’existait pas avant la mi-février 2022. On peut plutôt supposer que la Russie était prête à intervenir (« contingency planning ») si l’Ukraine entamait une offensive décisive pour prendre le contrôle militaire du Donbass. (…)
De toute évidence, les Américains [en janvier 2022] tentent d’accroître les tensions avec la Russie et créent des tensions au sein de l’Alliance atlantique. Car il semble que l’Allemagne et ses services de renseignement aient une appréciation différente de la situation. Outre le refus d’Olaf Scholz de rencontrer son homologue américain, l’Allemagne oppose son veto aux livraisons d’armes à l’Ukraine. Cela explique pourquoi la Grande-Bretagne évite soigneusement l’espace aérien allemand lorsqu’elle envoie des armes à l’Ukraine : de peur que l’Allemagne ne le ferme pour la Grande-Bretagne. Cela en dit long sur la confiance qui existe entre les alliés de l’OTAN. En fait, Joe Biden a envoyé le directeur de la CIA William Burns négocier avec Scholz et Bruno Kahl, chef de l’agence de renseignement stratégique BND. Car, selon un rapport de Der Spiegel, les services allemands restent sceptiques à l’égard du renseignement américain.
Le 23 janvier [2022], le retrait annoncé d’une partie du personnel diplomatique à Kiev irrite le gouvernement ukrainien. Les Ukrainiens se rendent compte que la menace occidentale de guerre – que les Ukrainiens ont toujours niée – prend des proportions qui pourraient nuire au pays à long terme. En effet, BBC News Ukraine rapporte que « la hryvnia ukrainienne s’est effondrée et les investisseurs paniquent ». Ils évitent l’Ukraine, dont l’économie est déjà chancelante. Ainsi, le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, Oleksiy Danilov, indique clairement que l’Ukraine considère toujours la Russie comme une menace, qui n’a pas encore augmenté. Les déclarations des Américains et des Britanniques ne feraient qu’aggraver la situation. En réponse à la question du journaliste « Pourquoi de grandes déclarations sont-elles faites en ce moment ? », M. Danilov établit un lien clair avec les difficultés des États-Unis avec la Chine, les changements politiques en Allemagne et les élections présidentielles françaises. En clair, l’Occident exacerbe les tensions pour des raisons de politique intérieure (…)
À la mi-février 2022, on observe une situation apparemment schizophrénique : d’une part, le gouvernement ukrainien affirme qu’il n’y a aucune indication de préparatifs russes en vue d’une attaque, et la Russie affirme qu’elle ne souhaite pas attaquer l’Ukraine ; d’autre part, les Américains et les Britanniques retirent tout leur personnel militaire de la région et déplacent leur personnel diplomatique à Lvov.
Poursuite des bombardements dans le Donbass depuis le 16 février : qui a déclenché l’escalade ?
Pourquoi les Anglo-Saxons retirent-ils leur personnel, alors qu’il n’y a aucune preuve d’une attaque ? Et pourquoi insistent-ils sur l’imminence d’une offensive russe ? Peut-être parce qu’ils savent que la Russie sera poussée à l’action par une campagne militaire brutale contre la population.