05 08 2023
Guinée, Mali, Burkina Faso, Niger désormais. Si on prend en compte la situation régnant en Libye, c’est un axe Conakry-Tripoli, de l’océan Atlantique à la mer Méditerranée, qui est en train de prendre forme.
Un axe sur lequel se baladent plus ou moins allégrement les mercenaires du groupuscule russe Wagner. Un axe que l’on peut considérer comme un axe anti-français (c’est un fait : il y a plus de francophones que de russophones en Afrique !) mais qui est fondamentalement un axe anti-occidental et, plus prosaïquement, anti-« mondialiste ». Or, dans la région ouest-africaine, la plus belle pépite de la mondialisation – et une des rares encore économiquement significative – est incontestablement la Côte d’Ivoire.
Guinée à l’ouest, Mali et Burkina Faso au nord, il n’est que sur son flanc oriental que le pays de Alassane D. Ouattara (ADO), ancien dirigeant du FMI, échappe à l’encerclement du front des putschistes ouest-africains. Sauf que le Ghana, le Togo et le Bénin ne sont pas au mieux de leur forme. ADO pourra-t-il tenir ?
L’illusion « mondialiste »
Qui peut croire à la pérennité des régimes militaires ? Si les coups d’État étaient une solution aux problèmes de l’Afrique, cela se saurait. En 70 ans, le continent a enregistré plus de 200 coups d’État mais les maux dont il souffre ne cessent de s’aggraver. Ce n’est pas parce que la gouvernance des civils dans un cadre démocratique (multipartisme + élections libres + liberté d’association + liberté de la presse, etc.) échoue que les régimes militaires (autoritaires par essence : « La discipline étant la force principale des armées, etc. ») réussissent.
La situation qui prévaut actuellement en Afrique de l’Ouest résulte d’abord du déficit démocratique dont ont souffert les régimes en place ; mais aussi de l’illusion « mondialiste » dont l’Occident s’est fait le champion au lendemain de la chute de l’URSS. La redistribution des richesses est, en Afrique comme ailleurs, un mythe. Pour autant, contrairement à la situation qui prévalait dans les années 1960-1970, ce n’est pas au nom d’une idéologie différenciée (le socialisme plutôt que le capitalisme) qu’un populisme stupide s’impose, çà et là, d’un bout à l’autre de la planète et fait des émules dans une Afrique pourtant obsédée par la revendication de sa souveraineté.
Des régimes militaires à la tête de pays de la BSS émetteurs de « diasporas »
Pas besoin d’idéologie alternative, pas besoin de programme, pas besoin d’une vision de long terme (pas même de moyen terme), il suffit d’adopter une posture, de se déguiser en commando, de rabâcher des slogans d’une époque révolue et de se rendre dans quelques capitales autrefois subversives et désormais seulement répressives (à l’exemple de Managua). C’est ainsi que le pouvoir est tombé sans coup férir dans l’escarcelle de quelques militaires (et de quelques militaires seulement) à Conakry, Bamako, Ouagadougou et Niamey.
Or, parmi ces pays, le Mali, le Burkina Faso et le Niger (les sahéliens) sont des émetteurs de « diaspora » à destination des pays côtiers, essentiellement la Côte d’Ivoire et le Ghana, accessoirement, mais significativement cependant, le Togo et le Bénin. Du même coup, alors que les tensions étaient fortes dans la Bande sahélo-saharienne (BSS), ils faisaient office de bouclier pour les côtiers générateurs d’emplois et d’activité économique. Ce n’est plus vrai depuis le début de la deuxième décennie du XXIè siècle. Au nord de la BSS, la Tunisie de Ben Ali et la Libye de Kadhafi ont cessé d’être des eldorados (rêvés plus que concrets) pour les diasporas sahéliennes.
Le Mali a craqué, la France s’en est mêlé ; le Burkina Faso a pensé surfer sur l’impéritie de Bamako tandis que Ouaga jouait sa carte à Korhogo, Bouaké et Abidjan avant d’être rappelé aux réalités sociales du « pays des hommes intègres ». L’Occident a vu des terroristes partout mais c’était l’arbre qui cachait la forêt. La forêt des populations africaines, et notamment de la jeunesse, frustrées d’être condamnées au sous-développement malgré le multipartisme (la sphère politique) d’une part, revendication majeure des années 1990, et la mondialisation (la sphère économique) d’autre part. Dès lors que le multipartisme et la mondialisation ont été perçus comme une instrumentalisation des pays africains par les ex-puissances coloniales, il ne fallait pas s’étonner que le populisme l’emporte sur la « bonne gouvernance » qui n’avait pas su éradiquer la prévarication et la corruption, les successions familiales à la tête des Etats, les tripatouillages constitutionnels, les troisièmes mandats qui se voulaient des premiers mandats, les guerres civiles, les confits religieux et interethniques, le terrorisme enfin…
Abidjan, dernière vitrine de la mondialisation en marche
Et ce n’est pas fini. La débandade des régimes civils laisse le champ libre à toutes les mafias. Il faut bien faire tourner la boutique. Des mafias qui ne se contenteront pas de barouder dans le désert (même si le désert nigérien est riche en uranium et autres substances quand, ailleurs, il y a de l’or et bien d’autres choses). De la même façon que les régimes militaires, régimes d’exception, aspirent à se donner des postures « démocratiques » qui ne sont que « populistes », les mafias rêvent d’instituer des régimes « politico-affairistes » qui justifieront les contraintes politiques et sociales (à l’occasion religieuses) au nom de l’efficacité économique. Ainsi va le monde… !
Trente ans après la mort de Félix Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire, qui a connu les coups de force militaires, les guerres des chefs, les ingérences étrangères, etc., se trouve être bien tentante. Agro-industrie, agro-foresterie, pétrole et gaz, énergie électrique, pôle portuaire, place financière, etc. et des hommes politiques qui sont au pouvoir depuis plus longtemps que ne le permet le « temps démocratique », la République de Côte d’Ivoire suscite nécessairement des tentations. Le pays d’ADO est à portée de la main de ceux qui se refusent à être les marionnettes de l’impérialisme sans avoir, pour autant, les moyens de leurs ambitions : 610 km de frontière avec la Guinée, 584 km avec le Burkina Faso et 532 km avec le Mali. Il n’est que le Liberia (715 km), à l’ouest, et le Ghana (668 km), à l’est, qui, jusqu’à présent, n’aient pas succombé à la fascination des peuples pour les uniformes. Jusqu’à quand ?
Un Ghana sous tutelle du FMI et la pression du Togo et du Bénin
La Ghana n’est plus, et c’est une nouveauté, « l’élève modèle » du FMI. Au mois de mai dernier, le FMI a dû débourser trois milliards de dollars pour sauver le pays du défaut de paiement. La dette d’Accra est colossale : 58 milliards de dollars soit 105 % de son PIB. En échange du soutien du FMI, le Ghana en revient aux vieilles formules du passé : réformes structurelles qui portent d’abord sur une politique d’austérité qui frappera les populations (hausse des impôts et de la TVA, réduction du train de vie de l’Etat, gel des embauches dans le secteur public…) mais aussi les « diasporas » originaires de la BSS (plus de 25.000 Burkinabè seraient réfugiés au Ghana qui en a refoulé récemment près de 500 : hommes, femmes et enfants !). On sait où les politiques d’ajustement structurel du FMI ont, autrefois, conduit les pays africains qui y étaient contraints. Le président Nana Akufo Addo, qui prônait un « Ghana sans aides », a dû avaler son chapeau ! Malgré l’or, le pétrole, le gaz, le cacao, etc.
Le Ghana est d’autant plus une bombe à retardement que la situation sécuritaire du pays ne cesse de se détériorer, notamment dans le nord. C’est pourquoi le Conseil de la facilité européenne pour la paix a récemment accordé une assistance financière de 8,25 millions d’euros afin de soutenir les forces armées du pays.
Pas sûr que cela suffise. Le Ghana est adossé au Togo. Qui connaît un regain de tensions du fait des actions menées par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), filiale d’Al-Qaida au Sahel. Les Forces de défense et de sécurité (FDS) du Togo en ont fait les frais à la mi-juillet, non loin de Sankortchagou, à une dizaine de kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso. Washington, conscient des risques, a injecté 2,6 millions d’euros pour financer un programme d’urgence en faveur des populations. L’objectif est d’éviter les affrontements intercommunautaires et les frustrations qui facilitent le basculement des jeunes dans les rangs djihadistes. Pour le GSIM, la région des Savanes est essentielle au plan logistique : c’est la voie d’accès vers le port de Lomé pour la drogue, l’or, le bétail… Et cela malgré l’opération « Koundjoaré » en vigueur dans la région depuis plusieurs années. Lomé doit donc verrouiller le nord du pays pour éviter que l’insécurité qui règne à la frontière du Burkina Faso et du Bénin n’y fasse tâche d’huile.
Cotonou, de son côté, prend au sérieux les menaces du GSIM dans la partie septentrionale de son territoire. L’armée a lancé un programme de recrutement de 5.000 hommes et a réceptionné trois hélicoptères français Puma destinés au transport de troupes mais pas seulement ; ils viennent compléter les VAB et les picks-up déjà fournis par Paris.
Reste à savoir jusqu’à quand ces Etats aux postures démocratiques résisteront à la tentation de l’exclusion des « mondialistes » au nom de l’illusion « souverainiste ». Un « souverainisme » qui ne manquera pas, à terme, de nourrir les revendications autonomistes et sécessionnistes (pour ne pas dire tribalistes) frappées, bien sûr, du sceau du panafricanisme. Comprenne qui pourra ! Il ne suffit pas de prendre le pouvoir ; encore faut-il en assumer les conséquences historiques. Et ça c’est une autre affaire !