La rencontre entre Félix Tshilombo et Paul Kagame a été annulée ce dimanche à Luanda. Kinshasa rejette la responsabilité sur Kigali qui exige des négociations directes entre le M23 et la RDC. La participation surprise du président kényan remet sur la table le projet de fusion des processus de paix de Nairobi et de Luanda… et le dossier M23.
Un sommet tripartite a bien eu lieu ce dimanche à Luanda autour de la crise sécuritaire en RDC. Mais pas celui que l’on attendait. A la place du président rwandais Paul Kagame, qui devait rencontrer son homologue congolais Félix Tshilombo, c’est Uhuru Kenyatta, le président kényan, qui a fait le déplacement en Angola.
Uhuru Kenyaytta est en charge du processus de Nairobi, une négociation entre les groupes armés et le gouvernement congolais, qui se mène en parallèle de celui de Luanda. Ce dimanche, la rencontre devait pourtant être déterminante entre les présidents congolais et rwandais dans le conflit qui oppose Kinshasa aux rebelles du M23, appuyés par Kigali.
Un plan opérationnel avait été négocié fin novembre entre les deux parties pour acter le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais d’un côté, et neutraliser les FDLR (un groupe armé formé d’anciens génocidaires) de l’autre. Ces discussions ardues achoppaient sur le timing et la concomitance des deux opérations. Un délai de 45 jours avait finalement été négocié. C’est du moins, ce qui devait être discuté et signé par Félix Tshilombo et Paul Kagame ce dimanche. Mais le scénario a déraillé.
La présence de Tshilombo n’a fait que renforcer l’absence de Kagame
Alors que l’avion de Félix Tshilombo se posait à Luanda ce dimanche matin, la délégation congolaise faisait état auprès de l’AFP d’un préalable posé par Kigali. Selon Kinshasa, la délégation rwandaise, présente dès samedi à Luanda, avait « conditionné la signature de l’accord par l’organisation d’un dialogue direct entre la RDC et le M23 ». Une nouvelle condition qu’a rejetée la délégation congolaise. Le tout est maintenant de savoir quelle sera la suite après l’échec de Luanda ?
On s’interroge notamment sur la présence de Félix Tshilombo à Luanda ce dimanche, alors que Kinshasa connaissait la condition fixée par Kigali, qui est une ligne rouge politique que le chef de l’Etat congolais avait fixé lui-même. En termes d’image, la présence de Tshilombo n’a fait que renforcer l’absence de Kagame, et donc a permis à Kinshasa de marquer un point. « Opter pour la politique de la chaise vide, sous des fallacieux prétextes, c’est reconnaître sans ambages son incapacité à œuvrer pour le retour de la paix » a estimé le porte-parole du gouvernement congolais Patrick Muyaya. Mais le plus important n’est sans doute pas là. De nombreux observateurs ont été surpris par la présence du président kényan à Luanda.
Remettre la question du M23 sur la table
Depuis plusieurs semaines l’East african community (EAC) plaide pour une fusion des deux processus de paix en cours, Nairobi et Luanda, censés stabiliser et ramener la sécurité dans l’Est du Congo.
Pour l’ancien député de Walikale et ex-membre de la commission de Défense, Juvénal Munubo, « la présence surprise de Kenyatta à Luanda prouve qu’il y avait l’intention d’ajouter la question du M23 aux discussions. Cette réunion à trois entre Tshilombo, Lourenço et Kenyatta était peut-être organisée pour convaincre Tshisekedi d’accepter la fusion des deux processus de Nairobi et de Luanda, ou peut-être pour qu’il accepte que l’on rajoute la question du M23 sur la table ?
C’est ce que je cherche à comprendre. Le président congolais pouvait également vouloir échanger avec Kenyatta pour évaluer la question des autres groupes armés locaux, en dehors du M23. A Kinshasa, d’autres sources diplomatiques estiment que l’on a en effet l’impression que le médiateur angolais Lourenço cherche «à pousser l’agenda du M23».
Deux positions irréconciliables ?
L’échec de Luanda donne surtout l’impression que les points d’achoppement entre le Congo et le Rwanda n’ont pas évolué. Kigali considère toujours la crise du M23 comme un problème congolo-congolais, à l’inverse de Kinshasa qui pense que sans le Rwanda, le M23 est une coquille militaire vide. Le Rwanda défend l’idée que le noeud du conflit se trouve justement ici, entre le M23, qui défend la communauté rwandophone, et les autorités congolaises. Pour Kinshasa, le refus de négocier avec la rébellion est directement lié aux multiples échecs du passé et aux nombreuses intégrations ratées de rebelles au sein de l’armée régulière qui ont systématiquement donné lieu à la création de nouvelles rébellions.
Retour à Nairobi… et à la case départ
Luanda constitue pour la RDC la première marche d’un début de résolution du conflit avec le M23. Reste pourtant la centaine d’autres groupes rebelles à désarmer, comme les très meurtriers ADF et les nombreux groupes Maï-Maï et supplétifs Wazalendo, soutenus pourtant par Kinshasa.
Le rendez-vous manqué de Luanda donne l’impression que le médiateur Joao Lourenço doit repartir à zéro et reprendre son bâton de pèlerin. Pour quelle suite ? La présence de Uhuru Kenyatta est un indicateur important de la prochaine étape avec un possible retour du processus de Nairobi sur le haut de la pile à la table des négociations. Enfin, la question d’un dialogue entre Kinshasa et le M23 semble redevenir depuis ce dimanche le principal point de blocage entre Kigali et Kinshasa. Repoussant encore une fois un embryon de sortie de crise.