19 04, 2024
Des cadres du pouvoir accusent l’ancien président, disparu des radars depuis près de deux mois, de soutenir les rebelles du M23, qui contrôlent une partie de la province du Nord-Kivu.
Il est absent de son pays depuis près de trois mois et conserve le silence qui le caractérise. L’ancien président congolais Joseph Kabila n’en reste pas moins au centre des attentions de l’administration de son successeur, Félix Tshilombo. Depuis fin mars, la pression contre le « raïs », comme le surnomment ses partisans, s’est même accentuée. A en croire le pouvoir, il serait le parrain « derrière la guerre qui sévit dans l’est du pays ».
Les accusations le visant prennent la forme d’insinuations, comme lorsque le général Christian Tshiwewe, chef d’état-major des armées, a mis en garde les soldats et policiers sous ses ordres, lundi 15 avril, lors d’une « causerie morale » au camp Kokolo de Kinshasa. « Il y a parmi nous ceux qui sont corrompus et incités à la trahison, parfois par nos propres politiciens […] C’est grave ! », a-t-il lancé à la tribune, sans citer le nom de l’ancien président. Avant le défilé, plusieurs officiers – dont l’identité et le nombre demeurent inconnus – avaient été arrêtés à plus de 2 000 km de là, à Lubumbashi, chef-lieu du Haut-Katanga et fief de Joseph Kabila.
D’autres, comme Augustin Kabuya, le secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, le parti au pouvoir), se font plus directs dans leurs mises en cause. Le 30 mars puis le 9 avril, devant des militants, celui-ci a accusé Joseph Kabila de soutenir le Mouvement du 23-Mars (M23), un groupe armé épaulé par l’armée rwandaise qui contrôle une partie de la province du Nord-Kivu, dans l’est du pays. « Kabila est parti en catimini sans laisser de traces », a-t-il déclaré, suggérant que des « turbulences » sont à craindre.
Invisible
Fin janvier, celui qui a dirigé la République démocratique du Congo (RDC) pendant plus de dix-sept ans était en Afrique du Sud, où il a validé le sujet de sa thèse de doctorat à l’Université de Johannesburg. Un mois plus tard, il était en Namibie pour les funérailles du président Hage Geingob. Il a ensuite disparu des radars.
Si Joseph Kabila demeure invisible, son nom a ressurgi le 5 avril dans une vidéo dévoilée à la presse par l’armée congolaise. Les renseignements militaires y interrogent Eric Nkuba Shebandu, arrêté en Tanzanie début janvier. Ce conseiller de Corneille Nangaa, président de la commission électorale de 2015 à 2021 et désormais à la tête de l’Alliance fleuve Congo (AFC), affirme notamment que Joseph Kabila et John Numbi, l’ancien inspecteur général de la police, sont en lien avec cette nouvelle plateforme politico-militaire dont le M23 fait partie.
Face à ces accusations, l’entourage de Joseph Kabila a immédiatement démenti tout rapport avec l’AFC. « Les services secrets se radicalisent et arrêtent les collaborateurs de l’ex-président pour essayer de décourager les éventuelles futures adhésions », réagit un ancien député du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la mouvance de Joseph Kabila, sous couvert d’anonymat.
Dans les faits, trois cadres du PPRD se sont ralliés à l’AFC et se sont affichés en mars aux côtés de ses leaders lors d’un meeting à Kiwandja, une localité du Nord-Kivu contrôlée par le M23. « Mais l’AFC compte également dans ses rangs des anciens de l’UDPS et du parti de Jean-Pierre Bemba, l’actuel ministre de la défense. Cela illustre bien la complexité des alliances politiques et montre à quel point la prudence est nécessaire avant de conclure à un soutien spécifique de Kabila », analyse Trésor Kibangula, directeur du pilier politique d’Ebuteli, un institut de recherche congolais.
« Psychose »
Joseph Kabila, ex-maquisard arrivé au pouvoir en 2001 après l’assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila, n’a jamais fait le moindre commentaire sur la situation dans l’est du pays, en dépit de la résurgence du M23, fin 2021, et de la création de l’AFC en décembre 2023. Son éviction de la scène politique congolaise deux après l’élection de Félix Tshilombo, en 2019, et malgré la coalition politique (FFC-Cach) que les deux hommes avaient formée, a rendu ses prises de parole aussi rares que ses apparitions.
« Une psychose s’est emparée du clan au pouvoir, qui redoute une réaction violente de la part de Kabila en raison des coups qu’il a reçus », juge l’ancien député du PPRD. Pourtant, l’ex-président n’a rien dit lorsque sa sœur jumelle et ancienne députée, Jaynet Kabila, a été interrogée plusieurs heures par les services de renseignement, le 15 mars. Ni lorsque des militaires ont perquisitionné les locaux de la fondation Laurent-Désiré-Kabila, deux jours plus tôt. Ni même lorsqu’ils ont « vandalisé » et « soustrait », selon un communiqué de la fondation, le véhicule qui avait transporté le corps de son père pour ses obsèques.
« Son silence, qui a longtemps fonctionné en sa faveur, semble aujourd’hui dérouter même ses plus fidèles lieutenants, qui s’attendaient à ce qu’il joue un rôle plus actif dans l’opposition ou qu’il influence de manière plus visible les décisions politiques et économiques, voire sécuritaires », estime Trésor Kibangula, alors que le PPRD, qui a boycotté les élections législatives fin 2023, n’a plus de représentant à l’Assemblée nationale.
Il n’y a guère que la femme de l’ancien président, Olive Lembe Kabila, qui s’exprime encore en public. En visite début avril à Goma, la capitale du Nord-Kivu, l’ancienne première dame a prié, depuis un camp de déplacés du conflit entre le M23, le Rwanda et la RDC, pour que son mari revienne aux affaires.