Par l’Ambassadeur Jean Thierry Monsenepwo
Kongo Central , le 5 juillet 2025
Maître,
Permettez-moi, en ma qualité d’acteur politique, d’analyste de la vie diplomatique, et en tant qu’ambassadeur engagé dans la défense des intérêts stratégiques de notre nation, de répondre avec courtoisie mais aussi avec rigueur à votre récente lettre ouverte adressée à Madame la Ministre d’État, Ministre des Affaires étrangères, relative à l’accord de paix conclu à Washington le 27 juin 2025 entre la République Démocratique du Congo et la République du Rwanda.
Je salue, d’emblée, la constance de votre engagement nationaliste, l’intellectualisation de vos prises de position, ainsi que la hauteur de vue dont vous faites montre, notamment dans votre appel à préserver les acquis diplomatiques obtenus récemment au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Mais, au-delà de cette convergence de principes, je souhaite ici – non pour contredire mais pour compléter – introduire une perspective plus contextuelle, comparée, et tournée vers les nécessités de la diplomatie stratégique contemporaine.
I. L’accord de Washington : un mécanisme diplomatique, non une abdication souveraine.
Votre critique principale porte sur ce que vous percevez comme une dilution, voire une remise en cause, des résolutions onusiennes antérieures, notamment la Résolution 2773 exigeant le retrait sans condition des RDF (Forces de défense rwandaises). Or, l’accord de Washington n’abroge pas la résolution : il en constitue une déclinaison pragmatique dans un contexte de verrouillage géopolitique.
En diplomatie internationale, les résolutions et les accords s’articulent souvent selon une logique de complémentarité dynamique. Il est d’usage, même au sein de puissances dites majeures, de traduire les résolutions en engagements pratiques entre parties belligérantes.
Comparaison utile :
Le cas du retrait soviétique d’Afghanistan (1988) suite aux accords de Genève, ou celui du désengagement israélien du Liban sud (2000) sous surveillance de la FINUL, montre que le formalisme onusien, pour se traduire en réalité tangible, doit s’appuyer sur des accords bilatéraux de désescalade. L’un sans l’autre conduit à l’enlisement.
Washington a servi ici d’espace de médiation opérationnelle, sans annulation des instruments de droit international précédemment obtenus par Kinshasa.
II. FDLR – RDF : juxtaposition stratégique, non équivalence morale.
Vous exprimez votre préoccupation quant à l’apparente mise en parallèle entre la neutralisation des FDLR et le retrait des RDF. Il me semble cependant essentiel de distinguer entre l’égalité d’intensité d’un engagement bilatéral et l’égalité morale entre les parties.
L’histoire des négociations asymétriques est pleine d’exemples où une partie, même agressée, consent à une séquence équilibrée dans la forme, afin d’obtenir une avancée substantielle. Ainsi, lors des pourparlers d’Oslo (1993), l’État d’Israël et l’OLP avaient convenu d’engagements mutuels, sans que l’un reconnaisse la légitimité de l’autre. Ce n’était pas une reconnaissance morale, mais une stratégie de sortie de crise.
Dans notre cas, la RDC n’a jamais reconnu une légitimité quelconque à la présence des RDF sur son territoire. Mais elle s’engage dans un processus de désengagement rendu possible parce qu’il offre simultanément des garanties, y compris sur la neutralisation d’éléments exogènes instrumentalisés.
III. Le langage diplomatique : entre souplesse de forme et fermeté de fond.
Vous soulignez l’emploi du terme « forces défensives rwandaises », que vous jugez inapproprié. Il est vrai que le langage diplomatique peut paraître ambigu. Mais il est aussi la clef de voûte de la désescalade négociée.
Ce type de langage, convenu, est utilisé dans toutes les opérations de retrait coordonnées. Par exemple, l’Armée de libération du Kosovo (UCK) fut temporairement désignée par l’OTAN comme « force d’autodéfense locale» pour faciliter les mécanismes de cantonnement.
Ce n’est donc pas un choix politique de reconnaissance, mais une concession terminologique tactique, permettant à l’autre partie de sauver la face sans compromettre la substance : à savoir, le retrait effectif des troupes.
IV. Le précédent de Luanda : une étape, pas un aboutissement.
Vous opposez l’accord de Washington au processus de Luanda. Mais rappelons que Luanda (2022-2024) avait échoué à créer les mécanismes de suivi et de vérification contraignants, que les États-Unis, en tant que garants, ont pu formaliser à Washington.
C’est la première fois qu’un cadre clair, avec séquençage, coordination et garantie américaine, est mis en place. Dans l’ordre diplomatique, un mauvais accord exécuté est parfois plus utile qu’un bon accord inappliqué.
V. L’accord de Washington est un outil, pas une fin.
Maître, je vous rejoins pleinement sur une exigence cardinale : aucun accord ne vaut s’il se substitue à notre souveraineté. Il ne saurait être question pour la RDC de céder un pouce de sa dignité, ni de relâcher la pression sur la communauté internationale quant au rôle du Rwanda.
Mais à l’heure où nos troupes tiennent les lignes de front, où notre économie est sous tension, où nos populations souffrent, nous avons aussi le devoir d’ouvrir les voies du silence des armes, même provisoires, pour reconstruire une paix durable.
C’est cela, l’esprit de Washington : un outil, parmi d’autres, pour contraindre l’agresseur à reculer, et donner au pays le souffle nécessaire à sa reconquête totale.
Conclusion.
Maître, votre interpellation est précieuse, votre rigueur est salutaire, et votre patriotisme ne fait aucun doute. Mais il est de notre responsabilité commune de faire la distinction entre la ligne rouge morale, que nous ne devons jamais franchir, et le jeu d’échecs diplomatique, où chaque mouvement est un pari sur l’avantage à venir.
Ce que nous avons signé à Washington, nous ne l’avons pas signé pour plaire ni pour céder. Nous l’avons signé pour avancer – avec lucidité, avec vigilance, et avec, chevillé au corps, l’irréductible foi dans la République.
Veuillez croire, Maître, en l’expression de ma fraternité.
Jean Thierry Monsenepwo, Ambassadeur et Analyste géostratégique et communicateur politique